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16 juin 2009 2 16 /06 /juin /2009 19:08



            Elle marchait rapidement, afin de semer ce chien qui la suivait  depuis qu’elle lui avait jeté les restes de son sandwich.

 

          Comme tous les jours, levée alors que la maisonnée sommeillait encore, elle fit tourner une machine, cuire les « ciabattas », sortit le beurre du réfrigérateur, puis versa le chocolat dans le grand thermos bleu. Elle en profita pour enlever le linge sec du rack, rangé près du radiateur.   

           Ce soir quand tous dormiraient elle ferait le repassage,  mettrait la table en position basse, et s’assiérait sur le canapé face du téléviseur.

          Il lui restait une heure avant leur départ pour l’école. Aujourd’hui, c’était mardi,  jour de marché. Quand elle arriva, les commerçants  venaient  de finir de déballer. Ses courses : des poivrons rouges et longs et de grosses tomates à farcir, également quelques courgettes, et deux kilos  de clémentines, ainsi que des  bananes et des  poires. A l’étal du boucher, on lui servit du steak haché, des escalopes de dinde, du faux filet et de la basse côte. Elle prit à la boulangerie un grand pain de campagne.  Cela suffirait jusqu'à samedi!
 

            Ce midi elle ne déjeunerait pas, car elle aurait trois réunions succéssives. C’est pour cette raison, qu’elle venait d’acheter  un sandwich au salami. Mais de si grande heure, il avait du mal à passer. Donc, le chien s'en était régalé.

 

            Il n’était pas encore huit heures ; elle avait juste le temps  de sortir la poubelle.
Elle poussa la porte, les enfants étaient déjà habillés, prêts pour l’école et prenaient leur petit déjeuner. En mettant sa serviette devant l’entrée, elle vérifia que leurs cartables  s’y trouvaient également, et attrapa en passant le sac de déchets.

 

            Le chien jaune était devant la porte. Il la suivit dans l’appentis et s’y allongea en grelottant. Elle haussa les épaules et laissa la porte entrebâillée. Il n’y avait, il est vrai  à l’intérieur que le barbecue et quelques fauteuils de jardin.

 

           Elle confia les enfants à la voisine qui les amènerait à l'école, puis  prit le train pour Paris. Son mari était absent, en séminaire à Marrakech.  En cas de nouvelle grève,  elle appellerait  un voisin pour qu’il les ramène avec les siens après l’étude.

           Depuis qu’elle vivait aux portes de la Capitale, il lui venait parfois l’envie d’y emménager. Mais la qualité de vie de sa petite ville pavillonnaire, ainsi que la surface confortable de leur maison lui manqueraient. Donc, elle avait remis  cette option à plus tard. Quand, par exemple, les enfants feraient des études supérieures ou seraient en âge d’apprécier les avantages culturels de la vie parisienne,

 

        Son adjoint l’attendait. Il lui remit une chemise avec le dossier sur lequel il avait certainement planché toute la nuit. Son teint jaunâtre et ses traits tirés le confirmaient. Elle lui lança un regard, chaleureux, afin de lui insuffler un regain d’énergie.  


      
Les Anglo-Saxons étaient venus en nombre, bien qu’ils aient eu quotidiennement, en temps réel,  à leur heure locale, tous les rapports financiers et commerciaux requis. Cela ne présageait rien de bon, puisque le grand patron ne s’était pas déplacé…

       En souriant, elle notifia à tous que la réunion pouvait commencer, puis  elle se se leva, se dirigea vers son bureau et composa la ligne directe du Président du Groupe.

Ce dernier l’avait prise en sympathie, quand  à ses tout débuts dans la Société, avec l’arrogance de la jeunesse, elle l’avait un peu bousculé. Habitué aux propos obséquieux et aux courbettes, il avait ressenti, à son égard, une immense sympathie, et lui témoignait dès lors une confiance absolue. Ils s'entretinrent  de tout et de rien. Puis il amorça:
_    En dépit de la crise les résultats sont excellents. Nous avons, depuis le début de l’année, racheté deux compagnies concurrentes. A part quelques restructurations, nous voilà  parés pour les dix ans à venir. 

Le   Président se targuait, en effet, de parler un Français parfait.

Elle avança :

_   Vous avez bien fait de ne pas désinvestir en France. Les Chinois de l’exposition pensent qu’ils sont capables, avec la technologie qu’ils ont maintenant assimilée et maîtrisée, de mettre un pied sur le Vieux Continent. Les quotas leur étant, actuellement, défavorables, ils attendent qu’une « niche » se dégage. Leur souci, c’est  qu’elles sont, pour l’instant, toutes occupées .

Il rétorqua :

_    Ils ont des coûts de main d’œuvre  nettement inférieurs, là-bas ; ils ne s’y retrouveraient pas .

 Ce n'est pas certain! Ils ont dans la Capitale nombre de compatriotes clandestins qui travailleraient pour un bol de riz. Pas de coût d’exportation, ni de droits de douane, donc pas de quotas.  Quand la Chine s’éveillera, comme le  disait Alain Peyrefitte. Ah! Ah ! Ah ! Je pensais vous voir aujourd'hui et prenais  simplement de  vos nouvelles. Mon mari serait ravi de vous  inviter à une  partie de  golf la prochaine fois  que vous nous ferez l’honneur de venir à Paris.


Tous ses collaborateurs semblaient sur le gril. Les mots d’ordre étaient : restructuration, rentabilité, délocalisation.

Sa préoccupation : son dîner du soir. Un poulet Tandoori avec un peu de riz Basmati satisferait tout le monde. Zut ! S’il lui restait un yoghourt bulgare elle n’avait plus de poudre de Tandoori. Il y en avait bien en pâte, mais cela n’aurait pas le même goût. Va donc pour un tajine au Poulet. 

Elle avait plusieurs  réunions d'égale importance  dans des filiales de Groupes Internationaux, situées sur le même site.

 

 En fin de journée, en rangeant la poubelle, elle s'aperçut  que le chien était toujours dans le cagibi. En lui apportant  des restes de la veille et un bol rempli d’eau, elle lui confia à voix basse: 

 

_ Ce n’est pas parce que tu vis en France, que tu n’as pas le droit de manger à ta faim, toi aussi.


 

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