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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 21:59

colibri quolibris

 

(...)

 

Comme un flash-souvenir, elle se rappelle encore du jour où elle prit conscience de son existence remuante devant le miroir de la chambre de ses parents. Elle entrait et sortait de la maison en courant et riant. Soudain elle s’arrête et se regarde et s’y aperçoit, menue, les jambes arquées, le cheveu rare, ramassé par un nœud au sommet de la tête et deux papillotes sur les côtés. Elle se croyait différente ; s’imaginait plus imposante et plus jolie.

Elle se voyait plus grande  que le jeune voisin qui partageait ses jeux. Mais peut-être l’était-elle vraiment, car il était son cadet d’un an.

 

À l’époque ils étaient inséparables mais se disputaient souvent. Et leurs jeux se terminaient invariablement par des pleurs et des cris. Alors sa grand-mère venait le chercher, et elle recevait alors une fessée de sa mère, qui partait du principe que pour se bagarrer il fallait être deux. 

 Le lendemain elle allait s’excuser et ils recommençaient à jouer, mais chez la grand-mère du garçon cette fois-ci.

Sa maison qui se trouvait de l’autre côté de la rue était longée par une petite rivière.

 

Comme la mère de son jeune ami qui était enseignante se trouvait en Métropole cette année-là, et devait en revenir par bateau; elle lui montrait une feuille de bananier emportée par le courant et lui disait :

_ Voici ta mère qui revient de France ! Ne vois-tu pas le bateau qui la ramène ?

Malgré l’invraisemblance de l’histoire tous eux suivaient alors avec attention les avatars de la feuille, comme si sa trajectoire sur l’eau était une symbolique du parfait déroulement du voyage de retour de la mère du garçon.

 

Ce qui la laissait bouche bée, c’était quand la grand-mère de son camarade de jeux commençait le cérémonial du concombre.

Pour mieux visualiser l’action, il paraît utile de préciser qu’il s’agit d’un concombre antillais, trois fois plus large que celui de la métropole, mais  plus court d’environ quinze centimètres.

 

Elle lavait le légume dans une petite bassine, puis en coupait les deux extrémités sur deux centimètres, avant de frotter les parties ainsi détachées contre la partie centrale afin d’obtenir une petite mousse blanchâtre, et continuait ainsi tant que le légume moussait.

Elle appelait cela « en enlever l’amertume ».

Après  l’avoir évidé de ses graines avec un petit couteau pointu, elle en ôtait l’enveloppe. 

Quand elle avait terminé et mis à la poubelle tous les déchets, elle saisissait alors une lame effilée et le découpait en un long ruban translucide d’environ un millimètre d’épaisseur.

Le but de l’opération était d’effectuer une spirale aussi longue que possible sans rompre le ruban.

L’œuvre d’art, enveloppée d’un tissu propre préalablement salé, était ensuite mise dans un saladier, et récupérée juste avant de servir. Alors, les longs rubans de concombre seraient placés dans les assiettes des invités. Il ne resterait plus qu’à y verser la vinaigrette.

 

(...)

 

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