Incipit:
" Il est vrai que j'ai logé six balles dans la tête de mon meilleur ami, et pourtant j'espère montrer par le présent récit que je ne suis pas son meurtrier" ( Lovecraft).
Mais, s'il est également vrai que je sors habituellement avec un pistolet chargé. Non que je croie nécessaire de devoir m'en servir un jour contre une quelconque agression. Mais, tout comme un chien, il me tient compagnie. Il me rassure, surtout quand je traverse les quartiers mal famés du vieux Londres. Mais, tout comme un chien également, je n'ai jamais eu l'intention de l'utiliser contre quiconque.
Ce jour-là, comme tous les soirs, à la même heure, je passai prendre James.
Nous cheminions ensemble vers notre pub habituel. Le grincement de nos brodequins sur le pavé inégal était le seul écho que répercutait la rue de Kensington. Soudain, d'une bouche d'égout sortit un chuintement; comme un bruit de canalisation qui se vide, puis plus rien.
Et à chacune des huit bouches, jusqu'au pub, nous entendîmes ce bruit étrange; s'arrêtant, dès que nous les avions dépassées. Puis une brume, légère d'abord, puis de plus en plus dense envahit la chaussée. Soudain,James s'agrippa à moi, avant de chuter lourdement. Ses lèvres émirent un chuintement bizarre, comme s'il eut voulu parler. Je le rattrapai par le bord du veston. Mais il sembla se disloquer comme un pantin. Je me baissai, mis sa tête sur mes genoux et tentai de le ranimer. Plus un souffle ne semblait sortir de ses lèvres. En tâtant son pouls, je sentis qu'il ne battait plus. Et soudain, ricanant, il se dressa et me fit face. Ses yeux, comme un hologramme verdâtre, clignotaient dans le noir. Je compris alors qu'ils l'avaient tué et se servaient de son enveloppe pour perpétrer le même crime envers sur moi. Alors, machinalement, je sortis le pistolet de ma poche et tirai six coups. Mais ce fut uniquement parce que je n'avais pas le choix. Et si vous pratiquez une autopsie, vous vous apercevrez qu'il était mort bien avant.
Chantal Sayegh-Dursus