Gustave est né dans le Vaucluse au tout début du printemps 1924.
C’était un jour un peu spécial où il avait tonné toute la nuit, et au matin, les cloches de l’église, contrairement à leur habitude n’avaient pas tinté les mâtines. Bien que ce ne fût pas prouvé certains soupçonnèrent le carillonneur, qui s’était un peu attardé au café la veille, de n’avoir pas su retrouver le chemin de sa maison, et de s’être assoupi dans un des nombreux fossés herbeux qui y conduisaient. Aussi la sage-femme, habitant dans le Bourg, qui attendait leur carillon aigrelet pour se réveiller ne le fit point. Ce fut donc Jean, aidé par son vacher, qui dut donner les premiers soins au bébé, quand ce dernier manifesta son impatience à naître.
« Pas plus difficile, ni plus compliquée qu’une vache à vêler la Marie » se plaisait à raconter Jean à tous ceux qui voulaient bien l’écouter. Ce qui se passait généralement en fin de soirée au troquet du village, quand tous les gars du coin, copieusement éméchés, commençaient à entonner des chansons à boire.
Mais ce qu’ignorait encore l’heureux père c’est qu’il avait donné naissance à un estroufaillleur. Et ce n’était pas chose courante, surtout dans la région. Tous pourront vous le dire. Nul ne se souvient, même de mémoire d’ancêtre, qu’il n’y en ait jamais eu. Et certains s’avanceraient à affirmer que c’était bien le premier, non seulement de la région mais de toute la contrée.
L’enfant nourri à même le pis, grandit et forcit plus que l’on aurait pu s’y attendre, même pour un gaillard dont les jeunes taurillons avaient été les frères de lait.
Un jour qu’on l’avait oublié dans un coin de la grange, alors qu’il avait à peine à trois ans, comme il l’avait certainement sans doute maintes fois vu faire, il attrapa le seau à grain et nourrit toute la volaille, qui comptait bien plus d’un millier de poulets. D’un air assuré, il le remplissait au baquet et au fur à mesure le vidait dans les nombreuses mangeoires.
Si Marcel n’était pas arrivé juste au moment où il remplissait son dernier seau, il aurait donné sa tête à couper, que ce n’était point lui qui avait nourri toutes ces poules.
Au début, tous s’en amusèrent, pensant qu’ils avaient affaire à un simple imitateur, un peu costaud pour son âge et également un peu précoce, il faut bien l’avouer. Et tous pensaient, bien mal à propos, car les faits ne tarderaient pas à les contredire, que quand il grandirait, ce qui paraissait aujourd’hui si extraordinaire deviendrait avec les années tout à fait banal.
Mais quand un jour à la pharmacie du village à douze ans à peine, alors qu’il venait de s’acheter des boules de gomme, il tança la laborantine, lui affirmant qu’elle s’était trompée dans le grammage de la posologie du père Barnabé, et que la suite prouva qu’il n’avait point tort. Tous en furent estomaqués
Un autre jour, lors d’un marchandage pour un cheval de labour, il intervint dans la discussion, affirmant au maquignon ébahi que la bête avait été maquillée et en fournit la preuve.
De telles qualités auraient du, c’est évident, susciter une admiration sans borne. Tout au contraire tous vinrent à le craindre. Aussi en le voyant arriver tous faisaient profil bas et peu recherchaient sa compagnie. Mais comme un seigneur au milieu de ses sujets, impavide et souriant, il donnait le bonjour à tout le monde, et avançait d’un pas alerte et décidé.
Avec toutes ces qualités évidentes, il fut souvent appelé pour résoudre des conflits d’ordre privé. En ces circonstances il ne pipait mot et se contentait seulement d’observer les protagonistes. Ceux-ci après avoir déballé leur affaire, en arrivaient eux-mêmes à la conclusion qu’aucune manœuvre dilatoire ne pouvait être tentée en sa présence, donc l’accord était généralement rapidement conclu.
Mais tous éprouvèrent un immense soulagement quand tant de talents évidents le firent aller défendre les intérêts de son département sous les ors de la République après être entré en politique.
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