On lui avait annoncé qu’il était au plus mal. Mais des obligations professionnelles, auxquelles étaient venus se greffer des problèmes incontournables et urgents, avaient fait qu’elle ne fût pas présente lors de son décès. Elle ne put donc recueillir ses derniers mots.
Cependant, tout au fond d’elle-même, elle savait qu’elle occultait l’essentiel, qu’elle avançait des prétextes futiles, inventait des pis-aller ; juste pour ne pas regarder la vérité en face. Car, il fallait bien qu’elle le reconnaisse aujourd’hui ; le problème était tout autre.
En effet, la dernière fois qu’ils s’étaient vus, cela avait été uniquement de son fait. Car, apparemment, elle l’avait pris par surprise. Comme elle avait pu le constater en arrivant, il avait débranché son combiné, bien qu' elle lui ait fait savoir avant son arrivée, qu’elle chercherait à le joindre ce jour-là.
Son accueil avait été froid, impersonnel. Aussi, après leur avoir rapidement remis les quelques présents qu’elle leur avait apporté, elle s’en était allée au bout de cinq minutes, sans même qu’un verre d’eau lui soit offert. Il se pourrait que la présence de sa tante, de retour de l’hôpital y ait été pour quelque chose ? Ou peut-être pas !
Elle chassa sur le moment ce souvenir désagréable, comme un insecte inopportun, et se rendit ensuite chez son ancienne logeuse qu’elle n’avait pas revue depuis ses années d’Université ; cela faisait déjà bien plus de trois décennies.
Celle-ci vivait maintenant avec une de ses sœurs retraitée.
Leur joie et la coupe de champagne, qu’elles lui offrirent lui firent oublier sa rencontre précédente. Bien que son esprit ne put s’empêcher de faire une rapide comparaison avec l’accueil qu’il lui avait réservé.
Son avion devant bientôt s’envoler, aussi elle ne put accepter leur invitation à dîner. Mais elles ne la laissèrent s’en aller avant qu’elles ne l’aient assuré de leur affection par de multiples attentions et de nombreux présents.
Depuis ce rendez-vous manqué, enfin cette non rencontre, elle revenait maintenant au pays, deux ans après, pour son enterrement. C’était d’ailleurs tout à fait naturel. Et nul ne fut étonné que la cérémonie ait été repoussée en attendant sa venue. On le lui avait d’ailleurs aimablement proposé.
Fouillant maintenant dans sa mémoire, elle essayait de faire revivre les souvenirs qui l’avaient marquée quand elle vivait encore avec lui. Bien peu, quand elle y réfléchissait maintenant ; il n’avait été entièrement présent qu’une année complète sur leur cinq ans de vie commune. Car il venait surtout le week-end, dans ce qui était supposé être son habitation principale ; puisqu' il travaillait dans une autre Ville, distante d’une centaine de kilomètres de là.
Après le divorce, elle l’avait complètement perdu de vue. Puis il y avait eu des vacances passées ensemble, pendant un an ou deux, avant qu’il ne parte définitivement travailler à la Coopération Internationale. Quand il était de passage, il lui offrait de petits souvenirs rapportés du Rwanda, de Somalie, de Syrie ou encore d’Egypte. Lors de son absence, elle recevait une lettre ou deux, ou parfois même d’avantage.
Mais en y réfléchissant maintenant, elle réalisait qu’elle l’avait très peu connu.
Aussi c’est en puisant dans les souvenirs anciens, des cinq années passées ensemble, qu’elle commença, dans l’avion qui la menait jusqu’à lui ; enfin jusqu’à sa dépouille mortelle, à rédiger son oraison funèbre.
Papa,
(…)
Extrait du Manuscrit " La dignité des hommes" par Chantal Sayegh-Dursus © CopyrightFrance.com
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