(...)
Je racontai bien plus tard à ma mère toutes ces violences. Elle m’encouragea à les lui pardonner m’expliquant que c’étaient des séquelles datant de l’époque de l’esclavage, où une partie de la population avait subi des atrocités innommables. Il s’agissait maintenant d’une sorte de rapport post-traumatique. Sa propre grand-mère lui avait raconté que certains propriétaires faisaient dégringoler leurs esclaves du haut des mornes de la Vallée de Beaugendre, à l’intérieur de tonneaux fermés, dans lesquels étaient plantés des clous en fer rouillés, afin de les punir.
Selon la gravité des griefs formulés à leur encontre, certains esclaves pouvaient même être battus jusqu’à ce que mort s’ensuive, ou avoir les mains plongées dans de l’huile bouillante… Cette institutrice aurait pu rosser d’aussi bon cœur ses propres enfants si elle en avait eu.
Les violences maintenant répercutées de génération en génération faisaient maintenant partie du patrimoine génétique...
En effet, c’est toute une population qui avait été traumatisée, et, contrairement au mémorial juif, il n’y avait eu aucune reconnaissance du préjudice subi, ni aucune offre de réparation. L’oubli, seul, était recommandé, puisque maintenant nous faisions parti de la République Française en tant que DOM. Mais, cela avait été obtenu par Aimé Césaire pour la reconnaissance du sang versé pendant la deuxième guerre mondiale.
J’ai moi-même remarqué que ce ressentiment ancien, cette dette non soldée, du temps de l’esclavage, remontait en surface, lors d’une altercation ou d’une parole malheureuse, les esprits s’échauffaient et il en fallait de peu que la population n’en vienne aux mains.
Dans ces cas particuliers les anciens colons s’enfermaient chez eux jusqu’à ce que l’orage soit passé. Dans des situations extrêmes, cela aurait pu tourner au lynchage. Et certains se souvenaient encore comment certains à la Révolution Française, massacrés par leurs propres esclaves, qui prêtèrent mai forte aux membres de la Convention, durent s’enfuir à la Martinique ou à La Nouvelle Orléans.
C’est pour cette raison qu’il y avait peu de gendarmes antillais ; afin que les ordres donnés soient exécutés, sans tergiversation et sans état d’âme en cas d’émeute. Le reste du temps, ils intervenaient mollement et à contrecœur pour séparer des antagonistes lors d’échauffourées ordinaires et arrivaient généralement quand la bagarre était terminée.
C’est aussi pourquoi que lorsqu’il fut proposé un texte sur les avantages de la colonisation, cette bombe à retardement, toujours amorcée, aurait pu exploser.
(...)
commenter cet article …