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Bonne-maman s’exprimait, sans s’en rendre compte, parfois, en vieux Français. J’y étais habituée et ne m’en apercevais pas.
Un jour, lors du baptême d’une poupée neuve, où j’avais convié des amies, je vis leur mine ébahie quand elle dit à l’une d’entre elles :
_Tu présenteras nos remerciements et transmettras notre amitié à ta maman, mais il y a assez de douceurs, on va serrer ton gâteau, on s’en régalera tantôt.
Elle prononçait parfois des proverbes et des dictons qui lui étaient propres :
« Ne vas pas vers quelqu’un qui est ton supérieur, attends que ce soit lui qui vienne vers toi »
Son éducation d’un autre siècle nous imposait des règles et des préceptes que nous jugions saugrenus :
« Ne te confie pas à quelqu’un dont tu ignores la lignée»
« On juge un individu aux chaussures qu’il porte. »
Ma grand-mère maternelle avait non seulement la langue pointue, mais ses yeux caméléons s’immisçaient également dans tous nos secrets, anticipaient nos moindres bêtises ; car nous étions sa descendance. Et aujourd’hui encore, quand je pense « Bonne-maman », j’ai l’impression qu’ils me suivent encore.
Après la mort de mon grand-père, à l’âge de soixante- dix- huit ans, à la suite d’une longue et douloureuse urémie - ils avaient fêté leurs noces d’or quelques temps auparavant - nous lui devînmes encore plus précieux.
Quand notre grand-père mourut, elle ne trouva pas le courage d’assister à la messe d’enterrement, encore moins d’aller au cimetière. Je restai donc avec elle ; alors que mes frères s’y rendaient avec ma mère.
Ce fut le dernier grand enterrement auquel je participai.
Dès les derniers temps précédant l’agonie, de nombreux parents, frères et sœurs, cousins, et mêmes alliés[1] vinrent lui faire leurs adieux. Bien que n’osant entrer, je rodai toujours autour de sa chambre. J’entendis mon grand-père confier au cousin, qui allait devenir par la suite cardiologue :
_ Il est très difficile, trop difficile de mourir, mais… j’ai peur de la mort.
En ce temps là, ma grand-mère, tous les soirs, s’allongeait à côté de lui pour dormir.
Un jour, je lui entendis lui chuchoter :
_ Part devant, prépare la route, je ne vais pas tarder à te rejoindre.
Elle le fit dix neuf ans plus tard.
Il souffrait en effet depuis deux longues années. Le médecin de famille avait dit à ma mère que son métier d’agriculteur l’avait endurci et que la mort serait longue à venir.
Un après-midi, alors que je m’étais glissée sous son lit pour lire, j’entendis mon grand-père discuter avec cette dernière des détails de son enterrement.
Le jour de la mort de bon-papa, le docteur qui le suivait tous les jours, depuis un certain temps, constata le décès.
J’avais dix ans cette année-là. Une voisine dit à ma mère :
- « La roue tourne ! »
Cette expression, que j’ai souvent entendue ensuite, devait signifier, comme j’ai pu m’en rendre compte tout au long du temps, une manière d’exprimer que dans la circonvolution de la roue de la vie, notre heure viendrait. Je l’exprimais moi-même, au décès de mon père, trente deux ans plus tard.
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