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Les pompes funèbres sont arrivées et ont placé mon grand- père dans un cercueil de zinc, ensuite de bois et l’ont emporté. La voiture a descendu l’allée, le portail a été ouvert, et on a retenu le chien. Les gerbes, les couronnes et les croix ont été distribuées aux enfants du Collège qui précédaient le corbillard en file indienne. Le Directeur faisait la circulation. Le reste des gens suivait à pied : l’église était à environ cinq cent mètres.
Il me fut dit que tout le monde ne put s’y asseoir. Ma mère avait loué plusieurs cars, car l’inhumation se faisait au cimetière des Vieux-Habitants, et des amis et des parents, qui en venaient, devaient y retourner. Le nombre du être doublé car des gens de Trois-Rivières voulurent s’y rendre également. Arrivés à destination, il y avait autant de personnes, attendant, qu’aux Trois-Rivières. Les parents de mon grand-père, ayant été exploitants agricoles, et ayant eu toutes leurs racines familiales dans la commune ; les parents, les alliés, les amis, les voisins et connaissances, ainsi que les anciens employés ; tous étaient là. Il fallut aller quérir le prêtre, et mon grand-père eut sa deuxième grande messe d’enterrement. On ouvrit le caveau de notre lignée. Le fossoyeur dit alors :
_ Il ne reste plus que trois places.
Pendant ce temps là, j’étais à la maison avec Bonne-maman. Elle me raconta que les enterrements de maintenant faisaient pâle figure. Dans le temps, quand il n’y avait pas encore d’Avis d’Obsèques diffusés à la radi, dès le décès connu, quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, on faisait sonner une conque de lambis[1]. Tous les voisins affluaient. Monsieur ou Madame Untel est mort(e) à telle heure, son enterrement aura lieu en tel endroit à telle heure et, de sonneries de conques en sonneries de conques, en l’espace de quelques heures toute l’île était au courant, et tout le monde affluait, avec des poules, des gâteaux, et du café pour la veillée. Car personne ne pouvait se faire excuser pour un enterrement ; c’était l’endroit où l’on revoyait ou découvrait toute sa parentèle. La femme du mari infidèle voyait une servante, qu’elle pensait partie travailler à Saint-Martin, avec toute une marmaille ressemblant comme deux gouttes d’eau au défunt. Les présentations étant ainsi faites, par la force des choses ; cette dernière, pouvait par la suite les présenter pour un poste de domestique pour les moins doués, « une aide financière, pour que le petit parte faire ses études en Métropole », pour les plus intelligents.
Le jour suivant l’enterrement, les veillées de prières commencèrent et durèrent neuf jours. Des dames pieuses vinrent avec leurs missels. Elles n’avaient rien à envier aux pleureuses de l’antiquité. Leurs prières se terminaient invariablement par la liste de tous les saints, qui étaient nombreux. Après le énième « Priez pour lui » pour nous les enfants, cela avait perdu tout sens, et nous ne pouvions nous retenir de pouffer. On nous sortait alors rapidement, afin de ne pas rompre le rythme de la prière.
De temps à autre, après son départ, nous sentions, en montant les escaliers, ou en nous promenant sur le balcon, ou dans une quelconque pièce de la maison, l’odeur de la lotion de Bon Papa. Ma mère disait alors :
_ Son âme n’est pas encore fixée, il vient nous visiter.
En ce début d’hivernage, les petits papillons jaunes de fin de carême, traversaient la maison et nous essayions de les saisir. Une personne cognitive annonça à ma mère que l’âme chrysalide s’étant libérée de son enveloppe charnelle, s’en allait maintenant libre comme un papillon ; traversant cette maison, qui n’avait été qu’une étape dans son cheminement spirituel, et qu’il nous le faisait ainsi savoir.
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