Elle se remémore la confrontation, qu’elle passe et repasse en boucle. Comment avait-t-elle pu aller si loin ? Emma n’avait jamais imaginé auparavant contenir autant de haine, et surtout libérer un tel flot de violence. De toute évidence, elle avait surestimé sa patience et son endurance.
C’était pourtant une belle journée d’été. Elle était rentrée chez elle, en fin d’après-midi, avec quelques emplettes, après s'être attardée en chemin avec des amies de rencontre. Comme elle s’apprêtait à sortir ses clés, elle fut surprise de voir la porte d’entrée déjà ouverte. Apparemment, l'une de ses voisines était venue la voir à l’improviste, et sa belle-mère l'avait priée de patienter quelques instants. Mais constatant qu’elle tardait à revenir, la visiteuse s’apprêtait à repartir.
Emma se débarrassa prestement de ses sacs afin de la recevoir, et se dépêcha de la rejoindre au salon. Mais rien ne se passa comme prévu, la mère de son époux, sans qu’elle l’en priât, s’assis entre elles et monopolisa la conversation ; parlant de ses deux autres fils qui avaient eux brillamment réussi ; l’un comme chirurgien réputé dans la Capitale, l’autre comme grand bâtonnier au tribunal de Versailles. Puis elle décrivit ses brus toutes deux également brillants chirurgiens ; femmes intelligentes, de très grandes familles et ensuite elle parla de ses petits enfants : si adroits de leurs mains qu’ils pouvaient inventer et fabriquer, sans effort aucun, de magnifiques maquettes ; ce qui les destinait à de brillantes carrières dans l'aéronautique ou les Ponts et Chaussée.
Pensant que cette dernière avait maintenant épuisé les sujets de conversation qu’elle avait l’habitude de servir à toute nouvelle connaissance, Emma allait enfin reprendre le fil de la conversation, quand elle fut à nouveau interrompue, par sa belle-mère, qui se gaussant franchement et ouvertement du sujet qu’elle amorçait, l’accusa tout simplement "d’avoir de l’ima…gi…na…tion."
Soudain, en mots clair, concis, mais peut-être pas suffisamment pesés, Emma démolit en quelques secondes toute la respectabilité sociale que cette dernière s’était donné tant de mal à démontrer. Sa voisine choquée et stupéfaite, s’excusa et ne tarda pas à s’en aller.
La boîte de Pandore après avoir longuement résisté, était maintenant béante. Mais celle qui avait déclenché son ouverture commit l’erreur de ne pas s’en apercevoir ; du moins, quand elle le fit, il était bien trop tard.
Pourtant cette confrontation, quand elle y réfléchissait maintenant, fut comme programmée, inéluctable en quelque sorte; tout comme un arc qui se détend peu à peu jusqu’à la libération du trait qui tue.
(...)