Ce petit pont de bois, enjambant une rivière, ou plutôt un ruisseau, appelé le canal, qui sépare la cour du primaire de la demeure de mon institutrice du CP, je ne le franchirai plus jamais, lors des récréations, sous l’œil bienveillant de la maîtresse de surveillance.
Il est vrai que cette prérogative était due au fait que la cousine de mon ancienne institutrice était la Directrice de l’Ecole Primaire où j’étais maintenant scolarisée. Aussi, je le traversais de temps à autre ; juste pour lui faire un signe, me rappeler à elle, car je l’aimais bien mon ancienne maîtresse du CP. Mais hier, je l’ai entendue dire à une mère :
_Votre enfant a été refusé en CE1 à sept ans, alors que « celle-là » ils l’ont prise, alors qu’elle n’avait pas encore six ans. Il est vrai que ses parents sont dans l’enseignement. Voyez-vous « ces gens-là »…
Aussi je viens de le décider. Je n’irai plus jamais la voir.
Cette trahison, je la garde tout au fond de mon cœur. Je ne l’avouerai à quiconque, même pas sous la torture. Je préférerai me faire hacher menu plutôt que de le faire.
Quand on m’a demandé par la suite les raisons de ces non-visites, j’ai prétexté que je m’étais fait gronder par la maîtresse de service, un jour où je m’apprêtais à franchir le petit pont.
Bien des années après, après mon succès au baccalauréat, ma mère m’a envoyé remercier cette maîtresse qui m’avait appris à lire.
Elle m’a reçu les bras ouverts, m’affirmant qu’elle le savait depuis toujours, elle l’aurait juré, et aurait mis sa main au feu, sa tête à couper, que je l’aurais eu ce Bac, et avec Mention.
Après tous mes doutes, mes jours de bachotage, si j’avais su qu’elle avait eu une telle confiance en mes capacités, je ne me serais pas donné tant de mal ; du moins j’aurais avancé avec plus de confiance, plus de sérénité, pendant toutes ces années de Lycée.
commenter cet article …