Quand je fus affecté en 1964, tout était à mettre en place ; la politique éducative n’avait vraiment commencé que depuis la Déclaration d’Indépendance du Ruanda-Urundi en 1962 ; autrement dit deux ans seulement auparavant.
Les directives présidentielles prévoyaient que tous les enfants issus de la même classe d’âge devaient débuter leur éducation en même temps et être instruits et éduqués de manière identique ; qu’ils soient issus de la famille royale Tutsi, simples Tutsis, Hutus ou Twa.
En 1959, le dernier roi Tutsi avait été destitué par les Belges et le nouveau Président élu était Hutu.
En effet les Rwandais avaient été d’abord colonisés par les Allemands avant de l’être par les Belges.
C’était l’époque de la démocratisation où nobles et non nobles avaient désormais les mêmes droits. C’était, également le début de l’ère de l’apprentissage de l’écriture qui venait de débuter au Rwanda « afin que les habitants s’approprient peu à peu les sciences nouvelles de ceux qui venaient de l’extérieur ».
Mais il serait erroné de croire que le pays ne possédait auparavant ni bibliothèque ni tradition culturelle propre. Les connaissances et les traditions étaient auparavant orales et transmises par des « hommes bibliothèques ». Ces hommes mémoires étaient communément appelés « griots ». Ils se trouvaient souvent à l’intérieur d’une même lignée, génération après génération, pour une facilité évidente de transmission familiale. Mais ils pouvaient également être choisis après une série d’épreuves. On exigeait d’eux une mémoire infaillible. Les élus désignés devaient mémoriser et seulement mémoriser. Il leur était interdit d’interpréter ou de modifier aucun détail, même le plus infime. Ils étaient responsables de la conservation et de la transmission de deux sortes de textes : les textes royaux et les textes populaires.
Les textes royaux comprenaient les listes généalogiques Ubucurabwenge, les mythes Ibitekerezo, les poèmes Ibisigo et les rituels magiques de cérémonie Ubwiru.
Avant l’Indépendance plus de quarante-trois souverains s’étaient succédé et chaque lignée devait être retenue par cœur. La première lignée est décrite comme provenant d’un autre monde et ayant atterri là où ils trouvèrent les gens qui s’y trouvaient déjà.
Les textes populaires, eux, étaient utilisés pour la vie quotidienne. Certains appelés Amateka y’Imityango résumaient l’histoire des grandes familles rwandaises. Les Ibyivugo étaient des poésies héroïques. Les Indirimbo z’Ingabo étaient chantés lors des combats, les poésies pastorales s’appelaient Amazina y’inka, la poésie cynégétique Imyasiro, les proverbes et dictons Imigani, les énigmes et devinettes Ibisakuzo. Les chants Inanga devaient être accompagnés par l’Inanga, un instrument à cordes traditionnel. Enfin il y avait la liste des chansons de louanges, d’amour ou encore les berceuses pour les enfants.
Ces retransmetteurs ne devaient oublier ni modifier aucun signe, ni aucun mot, sous peine de lourdes sanctions. Et de temps à autre le roi et la reine mère les interrogeaient pour vérifier la bonne conservation de leur bibliothèque.
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