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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 20:58

 

Pêche sur branche 

 

Chaque jour  je vais à la recherche des goûts perdus des saveurs d’autrefois ; reconstituées scrupuleusement en laboratoires savants par des biologistes talentueux, mais copies imparfaites de leurs goûts fugitifs : le piquant sur la langue du radis, la douceur et l’arôme de la tomate, la saveur fruitée de la fraise, ou la brûlure si caractéristique de l’oignon ; des souvenirs de fragrances à jamais disparues. Je les traque maintenant dans le moindre marché, étalage ou jardinet bio. Comme une musique d’antan, un souvenir lointain, elles hantent ma mémoire ces saveurs du passé. A la poursuite de sensations gustatives, je fréquente désormais les travées des marchés exotiques, traquant de nouvelles odeurs, des textures inédites, non encore trafiquées, pures comme au premier jour.

 

 

Dans un marché chinois, je questionne les grand-mères, leur disant qu’autrefois j’ai visité la Chine et ai goûté des plats que je n’ai plus retrouvés, mais dont le goût me hante encore aujourd’hui.

Avec un sourire complice, elles me livrent quelques uns de leurs secrets millénaires et me guident vers des épices, des légumes, que je n’aurais pu soupçonner, me confient les recettes des paysans chinois, qui pour faire survivre toute une famille n’avaient pour toute viande qu’une volaille par semaine, et comment ils cultivaient le soja, dans de petits chiffons, et  pour agrémenter le tout, inventaient mille et unes épices. Comment ils créèrent le Nashi,  pomme-poire imputrescible, gorgée d’eau et de goût, pouvant se conserver des semaines entières dans les coupes de fruits, et comment en ajoutant une pointe de vinaigre et une cuillerée de sucre, créer un sucré-salé délicieux avec n’importe quelle viande. Elles me dirent le secret de la soupe « won-ton » aux raviolis goûteux, ainsi que celui du canard laqué à la peau croustillante ; enfin m’enseignèrent à choisir les épices, à les moudre, puis à les amalgamer afin de créer la poudre des quatre ou cinq épices.

 

 

Je me rends souvent sur les marchés africains ; disant qu’il y a plus de trois siècles que d’une sente d’Afrique un jour je suis partie, et ai perdu en route  toute ma culture culinaire.

Des mamas compatissantes m’invitent à concocter des mixtures villageoises et déguster avec elles dans des faitouts ventrus mille recettes d’Afrique, dont les épices se trouvent uniquement sur les marchés exotiques. J’apprends ainsi à réaliser de multiples plats, tel le domanah, à partir  d’huile de palme, à utiliser le tamarin goûteux, ainsi que la poudre de gombos, à réhydrater les minuscules sprats afin d’en faire des mets savoureux, à préparer « le tiep bon » à partir du thiof, mis à dégeler dans une bassine d’eau froide avec une poignée de gros sel, afin qu’il garde la fraicheur du poisson tout juste pêché, et à reconnaître dans des poudres anodines les essences déshydratées d’épices succulentes.

Elles me lèguent  des recettes uniquement transmissibles à celles qui peuvent revendiquer d’être de leur lignée.

 

 

Je vais aussi régulièrement dans le quartier indien du nord de Paris, et avoue aux indiennes aux saris chatoyants, venir d’un des anciens comptoirs français de l’Inde : Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Mahé ou Yanaon. De tous ces anciens comptoirs, je leur dis qu’en 1954, lorsque  mes parents les quittèrent, me souvenir encore de cette musique indienne, de «  la dada » qui m’induisait chaque jour affectueusement  d’huiles parfumées et  qui berça mes premières années dans un pagne suspendu à une poutre au plafond. 

Elles me confient alors le secret du riz bicolore, agrémentant le poulet tandoori  mis à mariner pendant de longues heures, ainsi que celui du ragoût de viandes, avec moult légumes et épices, adouci à grandes louchées de lait de noix de coco, sans oublier bien entendu les succulentes recettes du poulet madras et des samossas aux pommes de terre écrasées.

Quand je réalise maintenant leur cuisine, je redeviens, l’espace de quelques instants,  une indienne ceinte de saris aux couleurs arc-en-ciel; dont les bracelets  d’argent et de cloisonné multicolores cliquètent vers le ciel,  créant des prismes colorés dans la vapeur surchauffée des marmites où mijotent les multiples plats de l’Inde ancestrale.  

 

 

J’ai rencontré les cuisinières portugaises et leur ai dit qu’elles et moi avons les mêmes références  culinaires ; leur expliquant comment reconstituer au goût à l’identique, en un tour de main, avec des queues de cochon, leur longue recette ancestrale du porc salé aux haricots rouges, qu’elles appellent « feijoada », et comment agrémenter leurs beignets de morue de multiples herbes et d’une pointe de piment, à reconstituer le délicieux sorbet à la noix de coco à partir d’un lait concentré et d’une simple briquette de lait de coco Suzi Wan.

Subjuguées, elles me confièrent alors les autres recettes que j’ignorais de leur pays d’Europe,  ainsi que d’autres plus récentes ; quand les Portugais accostèrent en Amérique du Sud, sur les côtes du Brésil, avec toutes les nouvelles spécialités qui s’y sont depuis ajoutées ; les omelettes goûteuses et froides aux multiples parfums, les « mooqueca de camarao » aux crevettes succulentes,  le tout accompagné du fameux pain au fromage nommé  « pao de queijo ». Tous ces navigateurs qui durent survivre pendant la traversée cuisinant avec du peu et du rien, comme ces boulettes de farine amalgamées avec un peu d’eau et de sel, et mises à cuire dans des ragoûts de viandes ou des soupes de poissons en guise de féculent, que j’appelle moi, « dombrets ».

Nous en convînmes, elles et moi ; nous avions bien les mêmes ancêtres et traditions culinaires.

 

 

A Belleville, je saluai des femmes enturbannées dans de multiples tissus et leur dit qu’en été c’était fort judicieux, car elles emmagasinaient ainsi  des poches d’air frais, bien utiles aujourd’hui en ces jours de grandes chaleur, leur faisant ainsi une pont thermique les protégeant été comme hiver. Elles soulevèrent leurs voiles, me sourirent  et me confièrent que ce n’était point pour se protéger du froid des nuits du désert, d’où elles venaient, ni de la canicule qui y règne le jour, qu’elles étaient ainsi enveloppées, mais pour obéir aux Lois du Prophète disant qu’elles ne devaient tenter nul homme ni nul ange qui viendraient à les croiser. Je leur confiai mon désarroi devant tout ce bouquet d’épices qu’exhalaient  ces sacs grands ouverts, enveloppant le passant même sur le trottoir, et dont la délicatesse semblait prometteuse de mets aux fumets incomparables. Elles me conseillèrent et me guidèrent parmi ces palettes de multiples couleurs, m’invitant à déjeuner chez elle, où elles me montreraient  comment les apprêter. J’appris ainsi à préparer le couscous du désert avec le minimum d’eau et sans aucune sauce, à rouler la semoule afin que chaque grain se détache parfaitement, ainsi que tous les secrets des  briouats au thon, du poulet m’chermel ainsi que des keftahs.

Maintenant quand j’ai envie d’entendre souffler le vent du Sahara, je me mets un peu de khôl autour des yeux, un foulard sur la tête, m’assoie en tailleur, et déguste une des dernières  recettes qu’elles m’ont confiée, tout en regardant pour la énième fois ma  cassette de « Voyages en Orient. »

 

 

Aussi, actuellement, quand je prévois un dîner entre amis, il m’est d’usage de leur demander :

_Que voulez-vous que je vous cuisine ? Des chayottes farcies, un poulet tandoori, un biriyani, un matar keema, du bœuf à la sauce aigre-douce ou  un tajine aux raisins. Désirez-vous  un blanc-manger en guise de dessert ? Préférez-vous  « una pina colada », un « lassi  aux amandes » ou un « un planteur-maison » accompagné  de samossas pour vous ouvrir l’appétit ?

Invariablement, ils me répondent tous :

_Des accras de morue, pour commencer, accompagnés d’un alcool de riz agrémenté de letchis. Pour tout le reste… nous vous faisons confiance.

 

 

 

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commentaires

M
<br /> c'est pas grave, je suis suffisamment gourmande pour patienter... (comment ça je peux aider en cuisine aussi...lol!)<br /> <br /> <br /> doux bisous et belle semaine valentine à toi<br />
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P
<br /> <br /> Je crois que je mettrai maintenant quelques recettes indiennes. <br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Il est vrai que les goûts naturels se perdent et que ce sont les gels moléculaires et industriels qui assassinent notre patrimoine. Tant bien que mal, on tente de les perdurer ces saveurs<br /> naturels mais...<br />
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P
<br /> <br /> Eh bien oui, l'on perd peu à peu le goût Alexandre .<br /> <br /> <br /> Bises et à bientôt<br /> <br /> <br /> <br />
É
<br /> Et bien dis donc tu as sacrément voyagé, et enregistré de recettes exotiques. De celles que tu cites je ne connais que les chayottes (ou christophines) farcies. Bon dimanche<br />
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P
<br /> <br /> J'ai surtout beaucoup voyagé grâce à mes connaissances<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> héhé, un ptit peu de tout... je veux bien...:o))<br /> <br /> <br /> comment ça il faut que je choisisse?!!!!!<br />
Répondre
P
<br /> <br /> Oui, oui, car parfois certaines préparations peuvent être longues<br /> <br /> <br /> <br />

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