Comme je suis pensionnaire, je ne le serai plus qu’à partir de la seconde, je me rends au Lycée le lundi matin et en reviens le samedi après-midi. Pour cela j’utilise les transports en commun. Le trajet dure environ une demi-heure. Ce qui me laisse tout loisir de cogiter et de me poser des questions auxquelles je n’aurai jamais de réponse (…). Bien que, généralement, je fixe le paysage avec attention, l’admire comme si je le voyais pour la première… ou la dernière fois (…).
Mais la majeure partie du temps, je suis distraite par l’ambiance qui règne à l’intérieur du véhicule : Une ménagère qui revient de faire ses courses, certainement affamée, casse un morceau de pain et peut-être à cause du manque de couteau, décide d’entamer le saucisson à même les dents. Le chauffeur, qui vient de s’arrêter pour laisser descendre un passager, regarde à l’arrière du car, et lui intime l’ordre de stopper ça immédiatement, car cela lui ferait avoir beaucoup trop d’enfants. Elle dit ignorer qu’il y ait eu un lien. Cette plaisanterie grivoise en entraine une autre de cabris molesté, par un homme en mal d’épouse, qui vient de paraître dans France Antilles. Une dame qui connaît l’individu est indignée : Il habite à quelques centaines de mètres de sa maison. Elle qui est veuve depuis tant de temps ! Pourquoi n’est-il pas tout simplement venu frapper à sa porte ? C’est du gâchis ! Tchiiip !
Les conversations s’enchaînent. Un couple derrière moi roucoule. La femme prétend ne pas être aimée. L’homme proteste : Aurait-il mis un sac de riz de cent kilos chez elle s’il ne l’aimait pas.
Et toujours en bruit de fond de la musique, dont les morceaux ont été commandés pour des proches ou des amis ; « Thérèse de Vieux-Fort dédie cette chanson à Jean-Claude de Morne-À-L’eau. » L’on croit comprendre qu’il l’avait quittée pour une autre, qui vient à son tour de le quitter : « la femme t’a quitté pour que tu te fasse écraser par les voitures… » [en créole]
L’animateur rappelle que ces morceaux dédiés ne sont pas faits pour régler des comptes. S’ensuit un autre air à l’intention cette fois d’une demoiselle Liliane de Petit-Bourg offert « par un inconnu bien connu. ».
Soudain, un coup de sifflet : c’est un contrôle de Police.
Le policier fait signe au bus d’arrêter. Il constate qu’il y a des sacs qui sont mal arrimés sur le toit du véhicule, et surtout beaucoup trop de passagers. C’est dangereux et interdit. Ceux qui n’ont pas de place assise doivent descendre pour attendre le prochain car. Ils ne doivent surtout pas payer car ils sont en surnombre et voyageaient donc à leurs risques et périls.
Le chauffeur proteste : « Mais moi monsieur l’agent, qui suis entrepreneur de transport en commun depuis plus de dix ans et.... »
Le policier le tacle : « Et vous entreprenez sur le dos de vos passagers ! ».
Enfin le véhicule est en mesure de repartir.
Dès que le gardien de la paix est hors de vue, le conducteur peut alors le traiter impunément de « tonton macoute », d’aliéné, de… fonctionnaire, et de bien d’autres noms encore. Et pour se calmer, il glisse le dernier air à la mode dans son mange-disque.
L’incident a réveillé les conversations. L’ambiance à l’intérieur de l’habitacle est maintenant franchement animée, voire festive. Les anecdotes s’enchaînent, jusqu’au prochain « à rester » du passager arrivé à destination.
Bref, on ne s’ennuie pas dans les transports en commun.
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