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14 mars 2013 4 14 /03 /mars /2013 00:33

 

MP JOSE ALPHA (2)

PRÉFACE :

de "Paroles et Silences" par André Lucrèce

 

AIMÉ CÉSAIRE, LA PAROLE CONQUISE

 

« La sagesse n’est pas dans la parole, mais dans le secret qui se cache sous les mots. »

Khalil Gibran


Qu’est-ce que la parole et surtout qu’est-ce que le silence, sinon une parole affinée et apurée à son point le plus extrême dans la solitude que requiert la poésie ?

Textes entremêlés1 joignant dans la même instance la passion théâtrale et les illuminations des infinités du quotidien, les voilà constituant une parole conquise qui nous parle tour à tour en élans sauvages, en apaisements et en silences des lieux d’accomplissement dramatiques que sont les Antilles et le monde. Ces paroles et ces silences projettent leur dignité, face aux aumônes biscornues qui contraignent le monde à une mélancolie épanouie par la volonté de puissance d’un empire sans éthique. Et les textes des écrivains - René Ménil, André Lucrèce,Khalil Gibran, Amadou Hampaté Ba – qui accompagnent le texte césairien inventent pour lui un abord où ce dernier trouve un point d’inflexion, où il entre dans une prairie naissante préparée par les autres textes. Ce qu’offrent ces textes à la langue césairienne et à sa dramaturgie, c’est la visibilité d’un déploiement où le contexte – la parole mise ensemble – contribue à intégrer langue et dramaturgie césairiennes dans les mutations modernes, que le théâtre, c’est-à-dire la mise en situation opérée par José Alpha, traite sans rupture. Et cela est une remarquable performance qui relève de l’inventivité dramatique, laquelle ne tolère pas d’impair.

 

Les incises des textes des écrivains, accompagnant le texte césairien, avertissent, situent, puis appellent à l’écoute des paroles et des silences. Leur enchevêtrement, fait d’une complicité créée, ne bâillonnent jamais les silences. Ils les étayent, puis les libèrent de la durée jusqu’à la prochaine paix et assurent ainsi le pouvoir narratif.


Voilà pourquoi ce texte, document-poème qui ne s’effeuille jamais en docilités, communique en rythme aux lecteurs ou aux spectateurs le grand vouloir de l’espoir. C’est en tout cas ce puissant courant qui s’exprime dans les témoignages des professeurs et surtout des élèves, comme une volonté retrouvée, à la suite de la longue tournée accomplie dans les lycées, témoignages que l’on pourra retrouver en annexe dans ce livre. Ce qui montre bien qu’entre la médiocrité étalée qui est trop souvent proposée à notre jeunesse sous prétexte de divertissement et l’irruption de la langue littéraire dans la relation dramatique et poétique, cette jeunesse s’allie volontiers au chant qui délivre de la stérilité et qui renverse les donnéescirconstanciées de la parole instituée.


1 Le texte Paroles et silences d’Aimé Césaire est un document-poème dramatique conçu et mis en scène par José Alpha à partir des extraits des textes poétiques d’Aimé Césaire, René Ménil, André Lucrèce, Khalil Gibran et d’Amadou Hampaté Ba.


Le pouvoir narratif d’un texte comme Paroles et silences, dénué de tout jeu hautain, aide à vivre en homme libre car il répond à certaines énigmes de la poésie, en nous restituant cettevie qui reflète les promesses aperçues,perdues, rêvées, promesses de belle espérance qui se proposaient de tracer l’horizon épanoui et mature que nous pourrions être en présence du monde.


Ce que ce pouvoir narratif met à jour, c’est d’abord ce que l’homme s’épuise à franchir, c’est le pas que papa Hegel aux Caraïbes, pour reprendre l’expression ironique de René Depestre, lui refuse obstinément dans ce qu’il conçoit comme l’antichambre de l’Histoire réservée aux puissants. A l’opposé, l’homme des Caraïbes, et cela est aussi vrai bien sûr de l’homme africain et de tous les hommes de tous les continents, aborde comme une rive commune la grammaire sublime de la création. La leçon de cette dramaturgie est cette découverte conquise contre les pensées rétrogrades : la grande autorité de l’homme est de croire à la possibilité de l’art d’éclairer la vie sous la forme de ce tracé qui demeure en mémoire, ce tracé poétique théâtral, pictural qui désintègre le réel pour mieux en restituer la charge.

 

C’est ce tracé et cette charge que nous rend dans ce texte le nègre de la gare Saint Lazare, balayeur solitaire au milieu de la foule, qui a vu débarquer du pays natal un jour de l’année 1931 celui qui allait devenir la voix rebelle et inquiète d’un monde de promesses contestées.

 

Nègre pongo, placé là dans la gare, comme au carrefour irrémédiable des humanités dont il devient le lieu et la personne, miroir de la misère serinée au temps sauvage de l’époque coloniale, objet de tous les mépris, avec « son nez qui semblait une péninsule en dérade et sa négritude même qui se décolorait sous l’action d’une inlassable mégie. Et le mégissier était la misère. » Or, tout ce bagage de mépris supporté au matin glacial du soleil d’hiver, tous ces ricanements subis, transformés en sagesse et en vertu sensible, nous livrent cet homme en santé narrative. C’est lui en effet qui nous restitue les armes miraculeuses du poète, portant au plus haut point le sens des mots, recomposant le rythme de ses combats de rebelle.

 

Le nègre pongo a l’assurance de son expérience, la ferveur de son âge et la certitude née de la solitude qu’il partage avec le poète. Il connaît le noueux combat que livre celui-ci. Il est donc celui qui relie le présent à sa mémoire. Cela lui est échu.

 

« Puis je me tournais vers des paradis pour lui et les siens perdus, plus calme que la face d’une femme qui ment, et là, bercé par les effluves d’une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les montres et j’entendais monter de l’autre côté du désastre un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane que je porte toujours dans mes profondeurs à hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentes et par précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires, arpentée nuit et jour d’un sacré soleil vénérien. »

 

Ainsi déclinée dans ce texte introductif du Cahier d’un retour au pays natal, la révolte à perte de vue du poète contre « la force putréfiante des ambiances crépusculaires », répondant à la pale lumière issue du pays par une ardeur déterminée. Aux ambiances crépusculaires, le poète oppose l’aube et son pesant de promesses qui initie le premier chant, même si le constat est accablant : « Au bout du petit matin… »

Et s’énonce alors le grand éclat des retrouvailles dans la ferveur qui communique au poète la puissance du regard. C’est cela qui fait du Cahier un texte empreint de lucidité, laquelle porte 

 2 Par ailleurs excellemment porté sur scène par Jean-Claude Duverger.dans l’intention poétique la présence réelle du discernement que l’on retrouve dans Paroles et silences et qui permet d’embrasser le monde au pas d’un souffle clairvoyant.


Cela n’empêche pas pour autant les visions amoureuses et heureuses, l’étreinte et l’ardeur, le désir et le dévoilement. Le poète est certes veilleur, mais il goute aux parfums et aux délices du pays en émotions irrémédiables. Ces dernières enjoignent aux rêves et aux désirs catégoriques ce qu’exige l’état du pays et du monde congestionnés par la soumission aux intérêts coloniaux.


Renoncer à ces rêves, c’est se dissoudre peu à peu…


Que le lecteur se garde donc de négliger les hautes canopées des rêves, car il n’échappera pas aux nuits troublées et il risque ainsi de n’y enfermer que le visible déceptif qui tient rarement compte de la trace et du tracé laissés par les paroles et les silences.


André LUCRECE

 

http://aimecesairecelebrations2013.eklablog.com

 

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commentaires

G
<br /> Tout d'abord ,heureux de te retrouver Chantal.Quant à la préface d'André Lucrèce,elle me parle au plus profond de mes convictions.Au revoir ,à bientôt.<br />
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P
<br /> <br /> Que deviens-tu Gilbertilo ? Et le travail  ?<br /> <br /> <br /> <br />

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  • : le domaine de Chantal Sayegh-Dursus
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