(...) Nous étions alors en 1955, et si l’enfant se souvient encore si bien de cette période c’est qu’elle fut marquée par divers évènements, parmi tant d'autres. Ce dimanche-là, à la fin de la messe, le curé informa les fidèles, que les Américains avaient envoyé à la Paroisse du lait en poudre et d’autres denrées non périssables ; comme ce fut d’ailleurs le cas pendant toute la seconde guerre mondiale. Ceux qui le désireraient pourraient se les procurer après la messe, au presbytère.
Comme chaque Dimanche, elle recevait dix centimes d’argent de poche qu’elle utilisait habituellement pour s’acheter un gâteau chez l’une des nombreuses marchandes de confiseries locales ; dont les trays, alignés de part et d’autre du parvis de l’église, faisaient comme une haie d’honneur aux paroissiens endimanchés.
Ce jour-là, son achat terminé, elle chercha sa mère des yeux, et la vit sur le perron de l’église en conversation animée avec deux autres collègues. Elle tenait à la main, Clartés et La Vie Catholique ; journaux qu’elle avait coutume d’acheter, le dimanche, aux religieuses du Couvent du Bord-de-mer.
Mais aujourd’hui, elle semblait agitée, furieuse même, et elle en sut bientôt la raison :
« Si nous en doutions encore, nous faisons bel et bien partie des pays sous-développés et que quoi que nous fassions sur la carte du monde, notre identité était bien et bel déjà dessinée. La départementalisation n’était que de la poudre de perlimpinpin pour aveugler les sots ».
La servante, elle, était terrifiée et bouleversée, mais pour une tout autre raison : elle pleurait, en balbutiant en Créole, que :
« Nous n’avions pas d’armée à la Guadeloupe, au cas où les Américains se décideraient à nous attaquer ».
Mais, surtout, ce qui la désolait le plus, c’était qu’elle était maintenant bien trop âgée pour se mettre à l’Anglais
Il était évident que cette attention de leur puissant voisin n’obtint pas l’écho attendu ; du moins en ce qui les concernait.
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