Elle avait encore appelé. C’était la seconde fois cette semaine. Son fils avait décroché. Mais elle, elle ne s’était pas déplacée. Il est vrai qu’avec ses jambes, elle le faisait de moins en moins. Elle aurait pu, si elle l’avait voulu, demander au moins de ses nouvelles. Alors, il lui aurait apporté le combiné et elles auraient échangé quelques mots.
Aussi loin qu’elle pouvait s’en souvenir, elle avait toujours feint ou du moins fait semblant d’éprouver l’affection qu’elle aurait du ressentir pour sa fille. Mais c'était surtout en présence des autres. Car, elle le savait, son cœur était sec. Cela datait, peut-être, du temps où son mari s’en était allé. A cette époque, la petite devait avoir cinq ans. Depuis, un simple effleurement, voire un simple contact avec elle lui faisait horreur.
Pendant longtemps, une bêtise ou même un manquement de sa part, la mettait dans une rage folle. Alors elle allait chercher le martinet et pouvait enfin laisser libre cours à toute cette souffrance rentrée. Et elle ne s’arrêtait que lorsque tout le fiel qui débordait de son cœur semblait s’être complètement tari.
Sa ressemblance avec son ex, lui insupportait. De plus, quand elle riait, elle avait l’air de se moquer, de la narguer. Car elle avait le même rire que son père. Cette similarité était accentuée par un caractère identique, dû sans doute au fait qu’ils étaient du même signe. Mais elle avait toujours interprété cela comme un mimétisme concerté. En effet, à l’époque, ils semblaient toujours du même avis. Et elle avait le sentiment qu’elle le préférait à elle ; se sentant exclue de cette complicité.
Elle lui lançait des regards courroucés. Alors sa fille, les ressentant comme des flèches assassines, osait rire de moins en moins . Et les années passant, elle s'en abstint même tout à fait.
Puis, vers l’adolescence, elle avait essayé de la comprendre, pourquoi pas inconsciemment pour essayer de reconquérir son père en le déchiffrant à travers elle.
Mais elle l'avait regardée alors avec détachement et méfiance et ne s’était jamais livrée ; se comportant comme une visiteuse de passage, qui savait qu’elle s’en irait un jour.
Elle avait alors décidé de lui casser le caractère afin de mieux la dominer, de lui inspirer de la terreur afin de la déposséder de tout ce à quoi elle tenait ; lui arrachant des mains tout ce qu’elle avait, en lui reprochant de ne pas savoir partager, de ne point savoir donner. Cela l’avait rendue encore plus étrangère et plus détachée. Elle se sentait maintenant survolée, ignorée, comme une fièvre maligne qui finirait bien par s’en aller. Car sa fille s’était endurcie, progressivement, jour après jour. Donc, elle avait donné délibérément aux cadets tout ce qu’elle lui avait toujours refusé et même la part qui aurait du lui revenir ; puisque si cela avait l'air de l'indifférer c’est qu’elle n’en n’avait nul besoin