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Punch-frappé
Une petite nappe brodée
Offerte par une amie
Je vous l’ai apportée
Car je vous aime mon ami
Ses broderies sont subtiles
Toutes faites avec des fils
D’une finesse délicate
Que l’on croirait une pâte
Une pâte légère
Levée par une lingère
Qui aurait pour talent
De prendre tout son temps
Croyez-le mon ami
Voyez-moi en celle-ci
Cela est tout à fait vrai
Si vous vouliez d’un trait
Comprendre les sentiments
Dans lesquels vous m’avez mis
Aujourd’hui sera un jour sans ! Toinette, l’aînée de la fratrie, l’a compris. Le canari ne pourra être rempli, car la mère est malade. Cela fait un mois déjà. Nulle piécette n’a pu être apportée à l’épicier, qui leur a suspendu son crédit. Il ne reste plus ni queue de cochon, ni lèche de morue, ni même un étique hareng-saur au fond de la caisse en bois. Et le sac de riz est désespérément vide.
Aussi, dès les premières lueurs de l’aube, elle s’est enfoncée au plus profond du petit bois, de l’autre côté du chemin qui jouxte l’habitation. Elle y a chapardé des bananes vertes ainsi que des plantains, une igname oubliée, quelques mangues et deux gros abricots pays, ainsi que les fruits d’un caféier sauvage. Toinette a également déplanté trois jeunes pousses de bananiers pour leur minuscule jardin créole.
Ce matin quand les petits partiront à l’école, elle leur donnera ce qu’elle aura fait cuire dans le canari bosselé, posé en équilibre bancal sur quelques pierres devant l’habitation, ainsi que les œufs de poule qui auront durci tout au fond du chaudron. Ils emporteront la presque totalité de ce qu’elle aura préparé, soigneusement enveloppé dans du papier-journal, en guise de déjeuner.
Elle cueille des feuilles de corossolier pour préparer un thé très chaud pour leur mère qui est brûlante de fièvre. Deux œufs durs et des poyos bouillis lui tiendront lieu de repas pour la journée. Elle les pose sur la caisse à côté de son lit ; unique meuble de la case.
Aujourd’hui, comme déjà depuis un mois, elle n’a pu se rendre à l’école. Et alors qu’elle frotte les draps souillés dans la grande bassine en zinc, accroupie sur le petit banc en bois devant l’unique porte de l’habitation, elle se demande comment gagner les quelques sous qui leur permettront de survivre. Les fruits du jardin créole pourront les aider pendant un certain temps. Elle ira les vendre au marché aujourd’hui : des grenades, des oranges et des sapotilles. Mais les cerises-pays, les letchis et les noix de cajou n’ont pas beaucoup donné cette année. Pourtant ce sont ces fruits rares qui sont les plus demandés. Le « raisinier », qu’elle a essayé de faire prendre en le plantant dans un seau rempli de sable et arrosé consciencieusement d’eau de mer, n’a porté nul raisin. Mais était-ce bien la manière de procéder ?
Elle aère sur de grosses pierres, l’exposant au soleil, la « cabane » : hardes cent fois rapiécées ; vêtements souvenir, ayant parfois appartenu à plusieurs générations, sur laquelle ils dorment tous les huit, à même le plancher ; puis balaye consciencieusement l’unique pièce de l’habitation.
Son panier caraïbe en équilibre sur la tête, elle se dirige maintenant vers la place du marché, et jette en s’en allant un dernier regard à la petite case en bois, posée sur de grosses pierres. Il faudra qu’elle se procure une grande panne en fer-blanc ou peut-être même deux, qu’elle aplatira afin de colmater les fissures qui laissent pénétrer l’eau les jours de grande pluie.
Un brusque crissement de pneus sur le macadam la fait sursauter. Une luxueuse berline la dépasse en klaxonnant et s’arrête un peu plus loin. C’est le plus jeune fils du « béké » qui la lorgne depuis l’année dernière ; depuis qu’elle est entrée dans sa quatorzième année, et que ses formes adolescentes ont commencé à présager la femme qu’elle sera demain. Il descend et l’apostrophe :
« Alors, ma belle, je te fais faire un bout de chemin. Je t’ai déjà dit que je cherche une secrétaire, et la place est toujours vacante. Cela pourrait t’intéresser puisque que je vois que tu ne vas plus à l’école… Et ce n’est pas… bien de prendre des fruits et des légumes qui ne t’appartiennent pas ».
Toinette reste pétrifiée. La survie de la maisonnée dépend de son seul bon vouloir. Elle suppute, hésite, vacille. Soudain un puissant bruit de klaxon la fait se retourner. Une main brune s’agite à la portière d’une voiture familiale ; lui faisant signe de venir, d’approcher. Elle la reconnait et sourit. C’est Aimé Césaire. C’est papa Césaire… le porteur d’espoir, l’arrangeur, le démêleur des situations les plus désespérées.
Elle n’est plus seule ! Elle ne le sera jamais plus !
« Comme des gouttes d’eau » Chantal Sayegh-Dursus©CopyrightFrance.com
Des galets, des oursins,
Des algues culbutées,
Chahutées par la houle,
S'écrasent sur le rocher
Le sable a gommé
L'atrocité du crime
Dont la vague fut complice.
L'odeur de l'iode marine
A masqué celle du sang
Les conques
Porteront au loin
L'annonce de votre trépas
Marées détrousseuses
De bois d'ébène....marchandise
Mais le bois d'Afrique a témoigné,
Dénoncé, accusé
Son Chantre*lui a donné voix !
* Aimé Césaire, Chantre de la Négritude
Extrait de « Comme des gouttes d’eau-Un Air de Césaire-Mémoire des flots »
Chantal Sayegh-Dursus © CopyrightFrance.comm
Elles couchèrent leur colère
Dévoilèrent des meurtrissures
Chagrins exorcisés
Expression d'une rancoeur
Vomissures libératrices
Coulures de plumes brisées
Il écouta les vibrations
Les bruissements de la ville
Ses désirs avortés
Et le poète exprima,
Vomit en longues cascades
Des mots froids, barbelés
Pourquoi étais-je donc si surprise ? Depuis des semaines, je me préparais à cette rencontre. Mais, il faut le reconnaître ce n’est point elle qui m’avait tant troublée. Ce qui m’avait prise au dépourvu, c’était le goût de son baiser sur le coin de mes lèvres. Un goût que je croyais avoir oublié. Une sensation qui m’avait avertie chaque fois que j’étais tombée amoureuse : la mémoire d’une saveur entremêlée d’un parfum subtil ; comme un bon cru dégusté dans un verre d’œnologue.
Comme il approchait, je l’avais vu, mais pas vraiment regardé, et pensais lui tendre le bout de mes doigts pour un rapide salut poli. Et après quelques généralités, nous nous serions éloignés et, peut-être au hasard d’une autre rencontre, croisés à nouveau, ou peut-être pas. Car mon emploi du temps chargé me forçait à adopter un marathon quasi-ministériel pour les jours à venir. Et maintenant, presque malgré moi, je me réappropriais chaque partie de lui. Ses mains longues et fines, sa silhouette de toréador. Le sourire amusé au recoin de sa bouche me fit réaliser qu’il s’était attendu à cet effet. Je le regardais surprise, ne sachant plus quoi faire de lui, de nous, de ces retrouvailles surprenantes, embarrassantes.
Ce baiser amical avait glissé sur ma joue, puis dérapé en quelque sorte, avant de s’égarer.
Je basculais entre raison et sentiment, comme une équilibriste sur une corde tendue, qui ne peut qu’avancer, sans nulle latitude de recul, ni de retour. Saisissant mon embarras, d’une voix légère il me donna des nouvelles des siens, m’informa qu’il s’était mis au golf et à l’équitation. Puis il me parla de son travail qui lui donnait toute satisfaction, des amis que nous avions en commun, de ce qu’ils étaient devenus. À mesure qu’il s’exprimait je découvris une façon d’être, de penser, des expressions, des gestes dont je n’avais pas souvenir ; façonnés peut-être par son conjoint, sa belle-famille ou encore d’autres relations qu’il s’était faites, de nouvelles personnes côtoyées, des amis qui m’étaient inconnus. Pendant toutes ces années je réalisai que nous nous étions irrémédiablement éloignés. Nous étions devenus étrangers l’un à l’autre, car nous n’avions plus rien partagé.
Pourtant, je m’en souviens encore, quand j’étais partie c’était pour lui, pour nous construire un avenir radieux. Chaque instant en exil, j’avais projeté de revenir pour concrétiser ce rêve. Lui-même avait travaillé durement et gravi tous les échelons en prévision de ce retour. Mais le temps, les épreuves, nous avaient éloignés, nous faisant oublier que nous nous étions tant aimés.
Bien des années après, quand j’étais revenue, nous étions mariés. Inconsciemment, peut-être, nous nous étions évités, car nous ne voulions pas tous deux détruire ce que nous avions construit, désirions préserver nos nouvelles vies, n’ayant plus des nouvelles de l’autre que par des amis interposés.
Cette outrecuidance de la jeunesse qui m’avait fait brutalement refermer le livre de notre idylle alors qu’elle n’était point terminée, n’existait plus depuis longtemps. La lame tranchante de mes convictions s’était émoussée. Aujourd'hui, chaque instant de vie était une parcelle arrachée à la fin de mon histoire. J’hésitais cependant à lui raconter ce que j’avais fait pendant toutes ces années, ce que j’étais devenue. J’aurais eu le sentiment de tricher. La sensation que si je m’exprimais d’essayer de le séduire, de le subjuguer afin de rattraper le temps perdu, de vouloir me réapproprier des saveurs qui ne m’appartenaient plus, mais dont je gardais souvenir.
Bien que tous mes sens, mes sentiments, mes désirs les plus profonds me dictèrent le contraire, j’eus le courage de le regarder dans les yeux et tout en lui souriant affectueusement de murmurer ces quelques mots :
« Nous avons vieilli tous les deux et serons dans quelques années grands-parents, il serait vraiment dommage que nos enfants ne se connaissent pas. Il serait peut-être temps de les présenter ».
Peu à peu l'été s'est écoulé
Je me suis soudainement réveillée
Et ai voulu sur une pellicule le fixer
En souvenir de ces chaudes journées
Arrêtant le temps passé
Pour mon seul bon vouloir
Désirant avant tout croire
Que j'y avais participé
Cette plage où je ne me suis pas baignée
Entièrement constituée de galets
Les estivants sont tous repartis
Et l'espace totalement reconquis
Dans mon pays, les fleurs de flamboyants sont comme des éclaboussures de sang qui jalonnent les paysages touffus enfouis dans la moiteur des mornes.
Dans mon pays, l’on dit bonjour aux passants qui croisent votre chemin, et on fait signe de la main aux voitures qui passent pour se faire transporter.
Dans mon pays, on s’inquiète du voisin que l’on sait seul et, à l’heure du repas on envoie un enfant lui apporter une portion du plat du jour.
Dans mon pays, les grand-mères arrêtent les enfants comme s’ils étaient les leurs, afin de leur demander un service, ou encore de faire avec elles un brin de route ou de conversation.
Dans mon pays, l’on peut se faire excuser pour un mariage mais jamais pour un enterrement, car c’est la dernière civilité que l’on doit à celui qui s’en est allé.
Dans mon pays, quand le jour se couche, l’on rentre chez soi, car le soir commence la grande errance des esprits et tous craignent de les rencontrer.
Emporté par sa muse
Il surfe sur la page
Qui épanche sur la table
Des kyrielles de mots
Mots fous échevelés
Qui débordent des pages
Libérant les non-dits
Tous les non-dits enfouis
Qu'il avait cru museler
Blessures enchaînées
Brutalement libérées
Broché
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