Quand elle revoyait sa vie, les même pensées lui revenaient comme une ritournelle : « pas de chance, pas de chance, pas de chance » !
Pourtant, sa venue au monde avait été espérée pendant des années ; pendant onze longues années.
Sa vie avait été longée d’obstacles multiples qu’elle avait surmontés, les uns après les autres. Mais si c’était à refaire, elle n’était pas certaine d’être encore partante. Car la détermination qu’elle avait mis à les contourner l’avait éloignée encore davantage de son but, et de la finalité première de son existence.
Toute cette belle énergie elle l’avait dépensée en vain, jetée aux orties en quelque sorte. Car dès le départ, tout semblait s’être mis en travers de sa route. Pourtant elle s’était battue, elle avait lutté chaque jour de son existence. Mais elle était née trop tard. Tout avait déjà été dilapidé, dépensé, et le reste dérobé, par quelqu’un de sa propre famille ; quelqu’un de proche pourtant mandaté pour gérer les biens des siens. Bien qu’elle n’en veuille à personne, car Dieu l’avait heureusement doté d’un caractère non rancunier. Sinon elle aurait trouvé le moyen de faire recracher jusqu’au dernier franc or.
Quand elle fut mise en pension, elle n’avait que 5 ans et elle y resta jusqu’au Baccalauréat.
Mettre un enfant en pension à cinq ans, n’est-ce pas une forme d’abandon ?
Alors, comme elle ne revenait qu’aux grandes vacances, elle s’était élevée seule, avait appris et s’était faite seule.
Quand elle eut acquis suffisamment de connaissances, elle les enseigna aux autres en donnant des cours particuliers. Elle s’offrait ainsi ses livres et sa garde-robe de rentrée.
Le neveu, que ses parents avaient élevé était le plus chanceux. Car il avait reçu tout ce qui lui était destiné, mais bien avant qu’elle ne vienne au monde. Pourtant, il leur avait tourné le dos à la première employée agricole qui lui a fait les yeux doux. Même pas un merci, ni un au revoir. Ils ne l’avaient plus jamais revu de leur existence. Tout cela parce que maman lui avait dit qu’il méritait mieux. Donc ils avaient pu ainsi vérifier l’adage stipulant que l’on ne pouvait compter que sur ses propres enfants. Car, elle, elle s’était occupée d’eux toute sa vie. Bien que ce ne soient pas de mauvais parents. Ils lui avaient donné tout ce qu’ils pouvaient lui donner et rien de ce qu’ils ne pouvaient lui offrir. Malheureusement, à l’époque ils n’avaient plus rien donc ils ne purent donc lui offrir grand-chose. Mais, elle, elle était leur bâton de vieillesse, comme on le disait alors.
D’autres parents, plus fortunés, venaient chez eux de temps à autre. Et elle entendait sa mère parler de leur très grande pauvreté et elle, elle en avait honte. Comme si l’on pouvait se glorifier d’être pauvre !
Ce souvenir lui avait appris à n’informer quiconque de ce qu’il y avait dans son porte-monnaie. Donc on l’avait souvent prise pour plus riche qu’elle ne l’était. Et tant mieux, car elle préférait faire envie que pitié. Car tant qu’il lui resterait un souffle de vie, elle ne mendierait pas un sou. Elle choisirait de manger son âme en salade et que nul n’en sache rien.