Je marche à pas comptés, la tête prise dans des pensées sombres, et me retrouve sur la jetée. Au dessus de ma tête, des écheveaux de nuages s’étirent, se délitent dans un ciel gris d’orage, aux teintes menaçantes ; voilant progressivement les rayons du soleil. Je souris, car cette atmosphère lourde et pesante fait corps avec mon état d’âme. L’odeur de la pluie à venir caresse déjà mes narines. Je m’assois sur un cocotier nain qui a été dessouché par le ressac, et un sanglot, suivi de mille pleurs me vrille l’œsophage, libère des torrents de tristesse, des fleuves de tourments, des cascades de doléances.
Une petite marchande de pistaches qui longe les quais s’approche et s’accroupit face à moi. Elle semble elle-même cassée par le malheur, déhanchée par la misère et ses yeux pleurent même quand elle me sourit. Dans un créole rocailleux, elle s’enquiert d’une voix grâve et éraillée des raisons de tant de désespérance, d’une telle déshérence :
« Il t’a laissé tomber ma fille ? »
Voyant que mes pleurs continuent, elle poursuit :
« Et il va se marier ! »
Mais ma souffrance dépasse de loin sa compassion, alors elle termine ainsi :
« Et tu es enceinte ! »
Brusquement la source de mon désespoir a tari le torrent de mes larmes et maintenant c’est un rire strident, aigu qui sort de mes entrailles, un rire inextinguible, fou, débridé.
La petite marchande de pistaches recule épouvantée, croyant entendre le galop de la « bèt à man ibè y menm[1]», ramasse son panier caraibe et s’enfuit à toutes jambes.
Honteuse de m’être épanchée de la sorte pour des raisons somme toute forts dérisoires, je la rattrape en quelques enjambées et lui achète un peu de sa marchandise. J’en profite pour la rassurer sur mon état mental et la remercier pour avoir pris la peine de s’être enquise de la raison de mes larmes :
« Rien de très grave maman, mon destin est tout simplement ailleurs ».
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