(...)
C’est à cette époque que le gouverneur Sorin fut envoyé dans notre île.
Le navire La Jeanne croisait au large des côtes, prêt à écraser toute velléité de révolte. Ce qui n’empêcha pas Saint-Pierre et Miquelon de passer aux alliés le 24 novembre 1941 ; puis vint le tour de Saint-Martin et de la Guyane.
(…)
Après le 27 novembre 1942, quand la flotte française fut sabordée à Toulon, à cause de l’invasion de la zone libre par l’Allemagne nazie, les quelques bateaux échappés du sabordage se replièrent sur l’Afrique du Nord et les liaisons maritimes avec la France furent complètement interrompues. Nous fûmes, en ces années-là, invités à survivre par nos propres moyens.
(…)
Pendant cette période, des petits métiers tels que la cordonnerie ou la couture devinrent une véritable industrie. On vit apparaître des chaussures en paille de cocotier, en herbe de « karata [1]» ou en caoutchouc de vieux pneus. Pourtant on pouvait acheter des chaussures en cuir fabriquées sur place, parfois même en cuir de bœuf, mais elles coûtaient fort cher. Aussi la peau la plus utilisée pour les sandalettes et même les chaussures était celle de cabris.
Ces derniers constituaient, par ailleurs, une source de protéines animales non négligeable, car c’étaient des animaux rustiques et résistants, qui se nourrissaient de n’importe quelle ronce.
Quoi qu’il en soit, tout était économisé, repris, et réparé mille fois.
Les sacs de farine servaient à confectionner des vêtements et des draps. Les vêtements usagés étaient reprisés, recoupés, recousus. Tout avait de la valeur. Des feuilles de bananier étaient tressées pour faire des nattes. Les sacs de jute étaient très recherchés, car non seulement ils servaient à entreposer le sucre, mais également à faire des matelas. Ils étaient alors rembourrés avec de la paille de maïs séchée. Ces matelas improvisés paraissaient, au prime abord, confortables, mais ce n’était qu’en apparence.
Quand le jute fut épuisé, les sucriers commandèrent des sacs en coton au Brésil.
Pourtant nous plantions du coton. Les graines de coton étaient semées au début de l’hivernage, au mois de juillet, et la récolte se faisait en plein carême, c'est-à-dire entre février et mars. Mais nous n’usinions aucun article, même le plus infime. Car aucune industrie de filage ne fut jamais initiée en Guadeloupe. Nos fleurs de coton séchées, épépinées, puis cardées ne servaient qu’à rembourrer nos oreillers ou nos matelas tapissier. Pourtant notre coton « longue soie », très recherché dès le XVIIIe siècle, approvisionnait l’industrie métropolitaine. Il avait permis grâce aux avancées agricoles des cultures et leur amélioration d’être présent, là-bas, dès le début de la révolution industrielle.
Les villes importatrices, avant la seconde guerre, étaient Rouen, Roubaix ou Mulhouse. En tant que colonie nous ne devions produire que ce qui ne pouvait être usiné en Métropole. C’est pour cette raison que notre savoir-faire se bornait surtout en recyclage ou à la récupération de produits déjà fabriqués.
commenter cet article …