[25]Sœur jumelle Je te rencontrai pour la première fois, à Pointe à Pitre, mais ne te reconnus pas. Le langage très élitiste du plus grand de tes hommes ou volontairement trivial du plus jeune de tes fils défiait mon entendement. Ton comportement, très différent, restait énigmatique. Tu me tutoyas d’amblée, moi qui ne le faisais que pour mes plus intimes.
Tes grimaces piteuses accompagnées d’un sourire honteux, au moment où tu triomphais, me laissaient dubitative.
Je me plongeai dans ta culture, tes écrits cherchant à déchiffrer l’énigmatique raison de toutes ces attitudes. Tu semblais vouloir vivre comme si dans tout, tu devais tout surpasser, et surtout ma personne. Tu montrais tes entrailles sur la place publique. Pourtant, clignant des yeux, je ne voyais rien. Je me questionnai longtemps, mais tout m’était fermé. Souvent me défiant, tu me disais qu’en tout, tu m’étais supérieure, et que sans toi, je n’avais nulle raison d’être. Me copiant souvent, me plagiant parfois, me niant toujours, je sentais ta détresse, mais n’y pouvais rien, faute de pouvoir en déchiffrer la raison profonde. Je sus que ton seul parti était indépendantiste, alors que le multipartisme garantissait ma liberté.
Pourtant un jour, dans une conversation, de quelqu’un qui ignorait tout de toi, te mentionnant vaguement, je pus enfin connaître qui tu étais vraiment.
Comme séparées à la naissance, nous suivîmes des destins différents bien que toujours semblables. Tu donnas à la France, la plus grande négrière que nos îles eussent connue, Delgrès en fut témoin. Ta capitale, Saint-Pierre, si injustement pleurée, ne pouvait rivaliser qu’avec Johannesburg. Dieu, miséricordieux, en vomit la honte. Alors, que mes ancêtres, bien avant Schœlcher, affranchissaient leurs enfants, épousaient leurs mères, leur donnant leurs terres et leurs biens et les envoyaient étudier dans la mère patrie ; l’abolition te trouva sans terre, ni abri. Tu célébras ta liberté mais bientôt la pleuras, car, tout était resté aux mains des négriers.
L’exploitation a changé, car l’agriculture n’est plus ce qu’elle était. Mais ceux qui jadis fouettaient tes ancêtres, tu leur dit « oui patron », car ils possèdent presque tout le foncier, et ni la République, ni tes diplômes, ni ta valeur, n’y pourront rien changer.
Afin de se différencier et de perdurer, l’eugénisme est leur loi ; pavanant enfants Aryens, en demeures ancestrales, qui méritent bien le nom de maisons coloniales.
Jumelle homozygote, issue du même œuf, depuis toujours une angoisse m’étreint, un mal-être m’englobe, une colère, une rage, sans raison ni fondement (...)
Des célébrations nous réunissent parfois, des célébrations d’une libération lointaine, souvenirs flous, s’estompant peu à peu ; scorie oubliée d’une tâche commencée mais point finalisée.
Je suis Guadeloupe, sœur jumelle, tu t’es reconnue, Martinique est ton nom.
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